La vie en Noir et Blanc: 05.2012

Après-manif' : la manif a bien commencé, quoique on sentait que tout le monde était tendu. Y'avait des cops' partout, à cheval comme dans les rues, on était étroitement encadré, et je me suis rappelé qu'il n'y a pas si longtemps que ça, lors de ma première manif', le climat était enjoué, solidaire et surtout, pacifique. Si la solidarité est plus que jamais présente, on est maintenant affiché en position de faiblesse dès le début d'une manifestation, on veut nous faire peur et nous faire savoir que le corps policier est en contrôle et qu'à la moindre petite faute, tout est fini, c'en est joué de nous et ça, c'est tout à fait inacceptable. On manifeste paisiblement, on fait valoir notre droit fondamental, celui de s'exprimer et d'avoir une opinion. Et là, on devrait avoir peur parce qu'on réfléchit, on devrait se sentir menacé parce qu'on a des idées et qu'on les affiche clairement. Derrière ce masque de haine, c'est la police qui a vraiment peur, peur qu'on aie raison et qu'il soit trop tard pour le reconnaître.

On a donc marché, on a scandé nos idéaux, on a fait du bruit, on s'est fait entendre, la rue était effectivement à nous. Puis, après une heure à peine, la manif' s'est divisée en deux embranchements, et ça a commencé à dérailler. On a fait partie des chanceux qui ont emprunté "le bon chemin" car, de l'autre côté, ça a commencé à brasser et c'est pas long que les cocktails molotov et les gazs lacrymo' se sont exprimés. La manif' était devenue illégale et on a jugé mieux de bifurquer subtilement et de se sortir de cette manif' - on sera casse-cou un autre jour.

Bien qu'on aie quitté un peu tôt, il se trouve que, bien qu'illégale, la manif' a repris le contrôle d'elle-même et les gens ont continué à marcher, sans itinéraire, de façon tout à fait pacifique et légitime, pendant encore deux bonnes heures (ou peut-être même plus). Et ça, c'est franchement beau. Beau de voir qu'on était capable tout seul d'être civilisé, beau de voir que l'union fait la force, beau de voir qu'effectivement, la rue était à nous, ce soir-là.

Il est présentement passé minuit. La loi est officiellement en vigueur, et ce ne sont plus les étudiants qui sont en colère, mais bien une nation. La loi 78 brime non seulement la population estudiantine, mais bien la population, point. On a retiré le droit de grève à tout le monde. On nous a retiré le droit de s'exprimer, de se rassembler, de changer les choses. On essaie de nous diviser et de nous faire peur, mais c'est le contraire qui se produit. Plus que jamais, nous sommes unis.

Plus que jamais, nous résistons.

TEXTE ORIGINAL

Dans une heure à peine, je m'en vais à une manif' de soir alors que la loi 78 viens d'être passée. Est-ce une manif légale? J'le sais pas. Est-ce qu'il va y avoir la police? Très sûrement. T'as pas peur des répercussions? Oui.

Je suis terrifiée.

Pas seulement parce que je risque de chopper une amende très salée, pas seulement parce que je risque de me faire poivrer, matraquer, ou même pire.

Je suis terrifiée par ce que le Québec est en train de devenir. Je suis terrifiée parce que les gens ont élu ce gouvernement et parce que les gens le laissent agir comme bon lui semble. Je suis terrifiée parce que j'ai l'impression que quelque chose de très important est un peu mort aujourd'hui.

Je suis terrifiée pour ma maman, qui souhaiterait que je reste à la maison, pas nécessairement parce qu'elle appuie le gouvernement, mais parce qu'elle a peur que son enfant se fasse faire mal dans la rue.

Je suis terrifiée parce que j'ai peur d'avoir mal, j'ai peur de souffrir, pas juste physiquement, j'ai peur de souffrir parce que le Québec s'en va nulle part et qu'on essaie de nous opprimer, qu'on essaie de nous étouffer, qu'on essaie de nous tuer dans l'oeuf.

Mais voilà, bien que je sois terrifiée, je dois être forte. Parce que je ne suis pas que l'enfant de ma mère, je suis aussi l'enfant d'un pays. Et ce pays va mal. Je suis terrifiée, mais plus que cela, je suis tannée d'être frustrée et de ne rien faire pour que les choses changent. Je ne veux plus faire partie de ces gens qui regardent le courant passer sans rien faire. Je veux appartenir à ce mouvement qui se bat pour un monde meilleur, qui se bat pour la liberté, que cela soit d'expression ou d'éducation. On ne changera peut-être pas le monde ce soir, ni demain, ni après-demain, il y aura peut-être encore bien des séquelles, bien des coups durs, des coups bas, on se retrouvera peut-être ben mal amanché, mais au moins, on pourra se coucher en sachant qu'on a faite une bonne affaire.

je tremble un peu, mais ça va bien aller. Il faut que ça aille bien.

Ça va bien se passer.